Edito
LE CULTE DE LA NOSTALGIE
Musique et nostalgie ont toujours été étroitement liés. Tout au long de notre vie, on reste marqué par les groupes, albums et chansons qui ont bercé notre jeunesse, façonné notre oreille et accompagné les étapes majeures de notre parcours. D’ailleurs, dans notre rubrique récurrente « les 10 albums qui ont changé ma vie », il est rare que les artistes interrogés citent une œuvre qu’ils ont découvert passé l’âge de 20 ou 25 ans.
Aussi, pour combler la frustration des plus nostalgiques et toucher du doigt
le mythe d’un groupe séparé ou absent depuis longtemps, s’est ouvert un nouveau marché : celui des tribute bands. Un phénomène qui ne date pas d’hier, mais dont l’expansion démesurée ces dix dernières années interroge.
Désormais, la musique des plus grands artistes est célébrée dans tous les pays du monde par des milliers de groupes de reprises. Cette tendance suscite un intérêt croissant chez le public, et du point de vue des salles, elle représente une opportunité lucrative. Pour certains organisateurs de concerts, il devient plus judicieux de miser sur un cover band avec un répertoire éprouvé que de risquer de programmer des artistes créatifs jouant leurs propres chansons. Résultat, de nombreux musiciens préfèrent se tourner vers cette niche (qui n’en est plus une) plutôt que de continuer à lutter pour développer leur propre projet, sortir des albums, et se produire sporadiquement dans des conditions difficiles. Le plus ahurissant, c’est qu’à une époque, assister au show d’un tribute band de Pink Floyd était une bonne alternative face au coût astronomique des tickets de concert de Roger Waters ou David Gilmour. Mais aujourd’hui, ces groupes de reprises jouent dans des Zénith et voyagent avec une armée de techniciens et de semi-remorques, les obligeant à aligner le tarif des billets sur celui de leurs idoles. Cherchez l’erreur...
Nous-même, en tant que média, même si nous adorons partir à la rencontre des talents d’aujourd’hui et de demain, nous participons à ce culte de la nostalgie à travers le matos vintage, des portraits des grands noms du jazz, du funk et du rock. Le sommaire de ce numéro en est la preuve. Quand nous avons l’opportunité d’échanger avec un personnage tel que Jason Bonham, impossible de ne pas le questionner sur son père et sur la grande épopée de Led Zeppelin. C’est plus fort que nous ! Pourtant, ce formidable batteur a d’autres choses à dire, à l’image de sa superbe collaboration avec Black Country Communion. Mais lui-même reconnaît être prisonnier de ce phénomène, et d’ailleurs, il tourne toute l’année avec son propre tribute band à Led Zep.
Commune à tous à la naissance, la curiosité se perd pour beaucoup d’entre nous en vieillissant. Arrivé à un certain âge, on a tendance à rester campé sur ses positions et il devient plus confortable et rassurant de se contenter de ce que nous connaissons déjà. C’est triste et il faut lutter contre ça, car malgré tout ce qu’on peut entendre, la création musicale en 2024 est foisonnante ! La grande musique d’hier reste fascinante et on aura toujours envie de s’y plonger, mais cultivons notre ouverture d’esprit et, par pitié, ne tombons jamais dans l’écueil du « c’était mieux avant ».
Sébastien Benoits
Numéro 214
7,90€